samedi 28 mai 2011

Dernières réflexions depuis Madrid sur cet autre joli mois de mai

Le propos dont vous prendrez connaissance en lisant les lignes qui suivent et qui ponctuent définitivement mon parcours personnel dans l'épicentre de la "Spanish Revolution"  devra sans doute être nuancé à posteriori. En effet, étant si proche de l'événement que je suis en train de relater, je n'ai sans doute pas le recul nécessaire pour ne pas laisser ma subjectivité personnelle prendre le dessus sur une lucidité détachée pourtant indispensable à l'objectivation des faits survenus durant ma courte présence à Madrid et à la compréhension d'une réalité de toute évidence complexe. A l'avenir, lorsqu'il m'arrivera de prendre la plume pour écrire sur le Mouvement 15-M, l'analyse sera moins superficielle et la mise en perspective plus que simplement esquissée. Toutefois ma prose du jour aura au moins valeur de témoignage sur ce qu'a été la lutte des "indignés" à un moment donné et la manière dont ils ont temporairement été perçus.

La dernière Assemblée Générale à laquelle j'ai assistée quelques heures avant de prendre l'avion du retour est intéressante à décrire pour rendre compte de la force mais aussi des difficultés de la dynamique démocratique qui se vit en ce moment  à la Puerta del Sol. Il faut s'imaginer une Assemblée Générale comme le rassemblement de centaines voire de milliers d'individus assis autour d'un modérateur qui mène la réunion. L'auto-discipline de ce groupe est, le plus souvent, assez impressionnante. Le consensus est recherché pour l'ensemble des décisions engageant cette Assemblée générale, instance souveraine du mouvement ce qui ne manque pas de surprendre les profanes. Ainsi, une seule personne en exprimant son désaccord absolu vis à vis d'un consensus qui émergerait au sein du reste de la multitude de participants peut théoriquement bloquer une prise de position de l'Assemblée. Pour prendre un exemple, aujourd'hui la Commission "Éducation et Culture" avait proposé que l'Assemblée se positionne en faveur de l'enseignement public, gratuit et laïque. Cette proposition est reçue par une salve d'applaudissements de l'assistance. Soudain, une jeune se lève, s'agite et demande la parole. Après une diatribe contre les dérives d'un enseignement étatisé qui asservirait les individus, elle plaide pour  un enseignement basé sur des initiatives privées. Lesdites écoles ne seraient pas nécessairement  religieuses s'empresse-t-elle de préciser à ses camarades qui lui font comprendre qu'ils n'accueillent pas favorablement les orientations qu'elle leur soumet. Le modérateur explique à ce moment que même si une écrasante majorité de l'Assemblée s'exprime en faveur d'une certaine proposition, le mode de fonctionnement qui avait été choisi dès les débuts du Mouvement était bien celle de l'unanimité absolue sur les positions qui étaient soumises à l'assentiment général. Le point est donc renvoyé à la Commission qui doit fournir une proposition de compromis pour l'Assemblée du lendemain. Cela étant même avec cette manière de fonctionner qui peut sembler fastidieuse, les réalisations du Mouvement sont plutôt remarquables. Occupation permanente d'un territoire situé en plein milieu du quartier commerçant d'une grande ville, prévoir et entretenir des infrastructures pour accueillir des centaines de campeurs, mettre en place des services accessibles à tous comme des crèches ou des bibliothèques, étendre l'"indignation" en dehors de la Puerta del Sol.....

Les observateurs ont abondamment commenté les évolutions possible du Mouvement. Va-t-il se poursuivre? S'étendre? S'arrêter? Se transformer? Convenons avec eux qu'il est sans doute trop tôt pour l'affirmer avec certitude. A ce stade, une  chose me semble toutefois évidente quoi qu'il arrive. Le Mouvement est et restera une réussite. En effet, même si les occupants sont délogés ou décident partir de leur plein gré, même si les Assemblées populaires connaissent un essoufflement, l'expérience en aura définitivement transformé plus d'un. Ayant expérimenté la démocratie participative, de la solidarité et de la construction d'une parole collective, il est vraisemblable qu'ils tendront a reproduire ces pratiques tout au long de leur existences. Ils auront peut être envie de militer davantage pour des enjeux sociétaux ou de s'engager dans un parti, dans un syndicat ou dans une association. Ils percevront peut être mieux ce qu'est un rapport de force et en quoi certains intérêts sont divergents, ce qui les dotera à n'en pas douter d'une grille d'analyse qui leur permettra de mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent voire à terme de le changer.

Carlos Crespo, Secrétaire Général du Réseau Socialiste des Organisations de Jeunesse.

Les assemblées populaires comme prolongement du Mouvement 15-M

Les assemblées populaires comme prolongement du Mouvement 15-M

L'Assemblée Populaire du quartier « austrias » est un succès. Plus de 300 voisins ont répondu présent à l'appel des "indignés" à se réapproprier la chose publique. Le Maelström participatif qui a commencé à souffler le 15 mai dernier à Madrid n'est désormais plus confiné à la Puerta del Sol. L'indignation madrilène se décentralise. Des jeunes venus du campement sont présents pour remettre en contexte leur mouvement et faire connaitre les rudiments du langage verbale et corporel utiles en vue de favoriser une communication optimale et respectueuse dans un rassemblement de plusieurs centaines de personnes. L'essentiel des débats de cette première Assemblée Populaire se focalise assez logiquement sur les aspects organisationnels : moyens d'élaboration consensuelle des ordres du jours, périodicité des réunions, modes de communications entre elles. Les participants à l'Assemblée échangent aussi leurs vues sur la poursuite du mouvements. Certains considèrent que la décentralisation du mouvement est une nouvelle étape du processus et qu'il n'est plus nécessaire de garantir autre chose qu'une présence symbolique sur la Puerta del Sol. Ce à quoi d'autres rétorquent qu'ils faut impérativement maintenir le campement sur la Puerta del Sol, cœur de la "spanish revolution", pour consolider cette dernière. Il est piquant de constater que ceux qui ne campent pas sont les plus attachés au maintien du campement tandis que les plus réfractaires sont ceux qui y vivent depuis quinze jours. La décision définitive tombera demain.

Après deux journées bien remplies à Madrid, au cours desquelles j'ai eu la chance de participer à diverses Assemblées Générales et Populaires, une analogie prévisible mais pas nécessairement abusive me trotte dans la tête. Je n'ai connu mai 68 qu'au travers d'archives et de récits d'époque mais je fais l'hypothèse que le tableau qu'il m'a été donné de voir ces dernières heures, à savoir celui constitué de milliers de jeunes réunis, empreints d'un idéal démocratique, débattant âprement et votant avec conviction l'autogestion des entreprises et l'abrogation du patriarcat n'est pas si éloigné de l'image que je me fais de ces événements mythiques et mythifiés.

Carlos Crespo, Secrétaire Général du Réseau Socialiste des Organisations de Jeunesse

vendredi 27 mai 2011

Flower Power à la Madrilène

Les violences policières de la matinée à Barcelone ont eu un impact certain sur la multitude présente à la Puerta del Sol. Les effectifs d'indignés qui se trouvent dans ce qui est en train de devenir le haut lieu de la lutte de la jeunesse espagnole pour son émancipation en cette fin de vendredi après midi ont triplé voire quadruplé par rapport à la veille. Une prise de conscience semble s'être opérée quant aux risques réels de voir l'occupation délogée par les forces de l'ordre. D'autant que la Présidente de la Région, Esperanza Aguirre (PP) a demandé au Ministre de l'Intérieur Alfredo Rubalcaba (PSOE) de déloger le campement qu'elle assimile non sans mépris à un bidonville. « Barcelona no esta sola » est l'un des slogans les plus scandés. Les manifestants osent aussi un jeu de mots original « Esto es esperanza, y no la presidenta » qui se traduit par « ceci est l'espoir et pas la présidente », le prénom de la responsable politique signifiant « espoir » dans la langue de Cervantès. En vue d'insister sur le caractère pacifiste du Mouvement, bon nombre de jeunes arborent une fleur et exhibent leurs paumes peintes en blanc comme pour conjurer le sort funeste qui pourrait les attendre en cas d'intervention de la Police. Le système en prend aussi pour son grade quand les jeunes lancent avec ferveur l'interrogation suivante « Porque manda el mercado si yo no lo he votado? » qu'il faut comprendre de cette manière : « pourquoi c'est le marché qui décide alors que moi je n'ai pas voté pour lui? ».

La tenue de l'Assemblée Générale du jour est exemplaire malgré l'affluence importante. La nature anti-capitaliste du mouvement est réitérée. On y évoque l'importance de la démocratisation des études et la nécessité d'en finir avec le financement public de l'enseignement confessionnel. Avec l'assentiment général, l'égalité de droit tous les citoyens se trouvant sur le territoire espagnol, en ce compris les sans-papiers est prôné. Des voix s'élèvent également pour exiger la fin immédiate de toute discrimination et de toute stigmatisation à l'égard des gays, des lesbiennes et des transsexuels.

La journée de samedi s'annonce cruciale pour le mouvement. A midi, des Assemblées Générales sont convoquées dans les quartiers de Madrid. La consolidation mais aussi le développement de la « spanish révolution » dépend en grande partie du succès de cette entreprise. J'en rendrais compte dès que possible.

Carlos Crespo, Secrétaire Général du Réseau Socialiste des Organisations de Jeunesse

Des nouvelles inquiétantes de Barcelone

Ce vendredi matin, il y a moins de monde sur la Puerta del Sol que la veille au soir. Les campeurs indignés se réveillent peu à peu et commencent à organiser la journée, ils seront progressivement rejoint par des non résidents solidaires avec le mouvement. La densité atténuée de la foule donne une excellente occasion de discuter avec des personnes de la commission « bibliothèque » et de la commission « extension ».

Des tables et des fauteuils sont disposés à proximité d'étagères remplies de livres de toutes les sortes. L'objectif annoncé est de garantir l'accès à la culture comme mode d'émancipation sociale, plusieurs jeunes lisent et commentent leurs lectures. La soif d'élargissement des perspectives collectives et de l'enrichissement individuel est perceptible. L'une des responsables explique avec conviction qu'il est important que les jeunes cessent d'ingurgiter sans réflexion les informations orientées des médias dominants.

Une jeune active dans la commission « extension » fait part de son enthousiasme pour ce qui est de l'émergence visiblement en cours dans certains quartiers d'Assemblée Générales des voisins. Elle confie à qui veut l'entendre que les gens de ladite commission peuvent à la demande apporter leur expertise participative mais que les thématiques abordées sont choisies par les citoyens des quartiers.

Le propos passionné de la représentante de la commission "extension" est bientôt couvert par le bruit grésillant du micro d'un organisateur qui annonce qu'à Barcelone, l'occupation des indignés est train d'être dissoute brutalement par la force policière. La nouvelle suscite une vive émotion, des slogans de solidarité sont immédiatement lancés et repris en cœur. Devant le prévisible échauffement de esprits, l'organisateur croit utile de rappeler qu'une des caractéristiques de l'actuel mouvement qui a fortement contribué à sa réussite remarquable est la non violence et qu'il convient impérativement de ne pas emprunter d'autres voix. Il est bruyamment applaudi.

L'une des raisons invoquées par les autorités barcelonaises pour justifier leur intervention contre le campement de la capitale catalane, outre la finale de la champions league prévue dont l'issue hypothétiquement favorable pour le FC Barcelone jetterait des milliers de supporters dans la rue, réside en un motif de préservation de l'hygiène publique. En ce qui concerne la Puerta del Sol, je dois à la vérité de dire que j'ai été favorablement impressionné par la prise en charge par l'organisation du nettoyage de l'endroit (cfr photo). Certains festivals estivaux en Belgique sont loin d'être aussi bien tenus! Si la situation est similaire dans le campement de Barcelone alors l'excuse de salubrité des responsables locaux ne tient aucunement la route.

Carlos Crespo, Secrétaire Générale du Réseau Socialiste des Organisations de Jeunesse

jeudi 26 mai 2011

Arrivée à la Puerta del Sol

Mon avion s'est posé à Madrid vers 17h15. Après un bref passage à mon hôtel de la Puerta de Toledo, je me dirige à la désormais planétairement célèbre Puerta del Sol. Le tableau est étonnant, chahuté mais aussi réjouissant. Entre une artère commerciale où l'on retrouve notamment le temple du consumérisme qu'est le « Corte Ingles » et l'ancien siège de la sinistre direction générale de la sécurité franquiste, s'érige désormais un campement où à peu près un millier de personnes discutent, débattent ou vaquent à des occupations diverses et variées. Des tentes, des bâches et des banderoles reprenant des slogans comme « Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiciens et des banquiers » ou « Madrid, capitale de la révolution mondiale » sont la preuve irréfutable qu'une réappropriation collective de l'espace publique a eu lieu.

Les rencontres que l'on peut faire dans ce village contestataire sont contrastées. Si croiser des jeunes chevelus déchaussés s’annonçait assez prévisible, il est également possible d'apercevoir un couple de personnes âgées s'attardant devant une pancarte ou un père de famille proche de la quarantaine qui promène son enfant en poussette. Dans différents points de la Puerta del Sol, des prises de parole se succèdent. Certes, tous les orateurs ne sont pas d'égale qualité mais la parole est libre et chacun peut s'exprimer sur ses attentes par rapport à la société, ce qui en soi ne manque pas d'intérêt. Près de l'entrée du métro Sol, un meneur harangue la foule avec son porte-voie : « Il faut aller au Congrès des députés pour leur dire qu'il ne nous représentent pas » Une cinquantaine de personnes décident de répondre à son appel et de se diriger vers l'enceinte parlementaire située quelques centaines de mètres plus bas. Une responsable de l'organisation essaie de se faire entendre « L'assemblée Générale de hier a décidé de ne pas marcher vers la Congrès ! Vous êtes en train de diviser le mouvement». La Police déployée cent mètres plus loin met  fin aux velléités anti-parlementaristes des quelques dizaines de « diviseurs » du mouvement. Dépités mais rigolards, ces derniers remontent la calle de Alcala et rejoignent leurs pénates de la Puerta del Sol.

Au milieu de cette joyeuse effervescence citoyenne, il est difficile de ne pas repenser au slogan de mai 68« Cours Camarade, le vieux monde est derrière toi! » tant il correspond bien à cette indignation collective qui à n'en pas douter se situe à mi-chemin entre une fuite en avant créative et une longue marche spontanée vers la plénitude des droits économiques, sociaux et culturels de cette jeunesse espagnole en lutte.

Carlos Crespo, Secrétaire Général du Réseau Socialiste des Organisations de Jeunesse.
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mercredi 25 mai 2011

Communiqué de presse du Ré.S.O.-J

http://www.resoj.be/resoj_PDF/com_presse_puertadelsol_250511.pdf

Communiqué de Presse de solidarité avec les indignés.

                                                                                                                              Bruxelles, le 25 mai 2011
                  Communiqué de presse du Réseau Socialiste des Organisations de Jeunesse
                                   Le Ré.S.O.-J à Madrid aux côtés des manifestants!
                               No pasaran ! Madrid sera la tumba del Neoliberalismo*

Le Réseau Socialiste des Organisations de Jeunesse tient à exprimer sa solidarité avec le
peuple espagnol en lutte. Son indignation est logique au vu des sombres perspectives
économique et sociales qu’il appréhende. Légitimement, la jeunesse espagnole refuse de
concevoir le programme économique ultra-libéral du PP comme une alternative porteuse à
la politique d’austérité marquée du Gouvernement de Jose Luis Rodriguez Zapatero.
L'arrivée éventuelle au gouvernement de la droite qui vient de remporter les élections
municipales n'apportera que davantage d'exclusion sociale et ne constituera pas une réponse
porteuse au problème du chômage des jeunes.

L’expérimentation démocratique qui est en train de se mener dans différentes villes
espagnoles est enthousiasmante pour les progressistes. Les «indignés» exigent la fin de
l’asservissement du politique par l’économique et l’avènement d’une démocratie
participative et sociale. Révoltés par les conséquences sociales funestes du vampirisme
destructeur du capitalisme financier, les espagnols se mobilisent aujourd’hui pour mettre en
échec les forces de l’argent qui n’hésitent pas à broyer des vies pour servir leurs intérêts.
L'orthodoxie budgétaire, l’apologie des privatisations et la dérégulation maximale constituent
autant de plats indigestes que les manifestants de la Puerta del Sol et d’ailleurs, se refusent
désormais à avaler.

L’actuelle mobilisation dans différents points de la géographie espagnole constitue une
réappropriation exemplaire de l’espace public mais aussi et surtout de la politique par les
citoyens qui aspirent à ce que leurs voix comptent vraiment. Il est à espérer qu’elle suscite
des émules ailleurs en Europe. Le Réseau a toujours considéré que les jeunes pouvaient être
des vecteurs de changement sociétal. Les événements en cours en Espagne, tout comme les
récentes révolutions dans le monde arabo-musulman, sont en train de le démontrer.
L’engagement des jeunes, avec leur capacité marquée d’indignation, constitue un moteur de
dépassement des injustices. Le Ré.S.O.-J salue la maturité politique du mouvement qui,
malgré la colère justifiée contre l'incapacité des responsables politiques à offrir des
perspectives d'avenir aux jeunes, s’est refusé à appeler au boycott des élections municipales.
Dans un proche avenir, il serait de bon ton de voir le PSOE se réconcilier avec son histoire la
plus glorieuse, celle de la révolution asturienne, du front populaire, de la lutte contre le
fascisme et répondre aux aspirations populaires en reconstruisant un vrai projet de gauche.

Le Réseau enverra une délégation de jeudi à dimanche à Madrid afin de témoigner toute sa
solidarité avec le mouvement actuellement en cours.

* Slogan repris sur une banderole déployée à la Plaza del sol.

Pour plus de précisions ou pour recevoir par mail les communiqués de Ré.S.O.-J, vous pouvez
contacter le 0485/311658 ou envoyer un courriel à l'adresse suivante : c.crespo@resoj.be.
Yonnec Polet, Président Carlos Crespo, Secrétaire Général